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zapatosardientes
25 mai 2006

LA CAPOEIRA EST UNE DANSE, UNE LUTTE, UN JEU

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La Capoeira est l’un des aspects les plus fascinants de la culture brésilienne. Le capoeiriste est à la fois un athlète, un danseur, un acrobate, un farceur, un comédien et un musicien. D’un point de vue historique, cela s’explique par l’extraordinaire rencontre (contrainte forcée ) entre les différentes cultures africaines sur le territoire du Brésil durant trois cents années d’esclavage. Venu d’Afrique avec leurs danses, leurs rituels, leurs fêtes et leurs chants, les esclaves ont fini par créer un rituel unique, lié à leur condition au Brésil : La CAPOEIRA.

Sous sa forme dansée, chantée et inoffensive aux yeux des maîtres et des surveillants, ce rituel était en réalité une véritable préparation au combat. Combat contre les oppresseurs pour leur liberté. Combat des plus faibles et des plus démunis contre les plus forts.

Longtemps interdite et réprimée, même après l’abolition de l’esclavage, la Capoeira ne sera autorisé par le gouvernement brésilien qu’en 1937. Elle sera enfin reconnue pour sa valeur culturelle, éducative, créative et artistique.

Elle est à présent enseigné et pratiquée, non seulement dans les écoles et dans la rue, mais aussi dans les universités, les ateliers de théâtre et de danse contemporaine, les écoles de cirque et les centres de sport au Brésil, aux Etats Unis, et depuis quelques années en Europe.Comme nous le verrons, la Capoeira dans sa forme ne ressemble à aucune autre danse, ni à aucun autre art de combat. Elle est l’art de lutter dans la danse et de danser dans la lutte. Enfin elle est un jeu.

LA CAPOEIRA EST UN RITUEL
Un rituel d’une grande beauté. Les mouvements des Capoeiriste sont ceux des animaux. Macaques, reptiles ou félins, ils évoluent indifféremment debout ou renversé, à quatre pattes ou bien complètement allongées, prêts à bondir dans les airs ou sur leur proie. Ils sont soutenus autour par les rythmes de percussions, les chants et les frappes de mains des autres capoeiriste. Ces derniers, en attendant leur tour, se forment en cercle et "chauffent " le jeu avant de se lancer dedans. C’est la " RODA ".

UN ESPACE CIRCULAIRE
A l’intérieur de ce cercle c’est l’aire de jeu, le lieu de la danse, le lieu de la lutte. C’est ici que l’on se montre aux autres, que l’on s ‘expose aux risques, que l’on improvise des personnages, que l’on établit un dialogue corporel avec son partenaire (ou adversaire).

Autour les danseurs forment la RODA. Ils rythment le jeu pour se donner de l’énergie ou en donner aux autres. Les percussions augmentent ou réduisent la cadence, les chants envoient des messages, des avertissements ou des conseils, commentent le jeu ou racontent les histoires légendaires de la Capoeira.
La qualité du jeu dépend de la qualité du rythme et des chœurs autour. Ils sont indissociables.

AU CENTRE IL Y A LE JEU
Il a comme tous les jeux, ses traditions, ses règles, ses codes pour entrer dans le cercle, pour s’arrêter ou reprendre. Par contre lorsqu'on est au centre, face à son partenaire il s’agit de ne pas se tromper. Tout peut aller très vite. Même si le rythme est lent. Etre au centre, c’est être seul dans une expérience qui ne va pas se répéter. Si une pensée traverse l’esprit, elle peut gêner les réflexes du corps. Etre au centre, c’est être totalement présent et "invisible ".

LE TEMPS D’UN DIALOGUE ET D’UNE IMPROVISATION
Etre au cœur du rituel et faire un "beau jeu ", c’est engager le dialogue avec son partenaire en utilisant tous les recours que l’on a à sa portée pour le tromper et l’emmener au piège. Nous avons vu que c’était la lutte du plus faible contre le plus fort, donc pas besoin d’être un athlète ou un acrobate pour jouer la Capoeira. Un sourire, un geste malicieux, un cri, une douleur déguisée, un coup portée ou un coup reçu et ou une esquive bien placée sont souvent plus utiles pour mener le jeu où on veut.

Le temps du jeu c’est le temps d’entrer, d’établir la relation avec son partenaire, d’être attentif et à l’écoute de son énergie corporelle, (sa rapidité ou sa lenteur, son niveau d’agressivité, ses capacités de ruse, de stratégie, son agilité, son humour...).
Ici aussi, comme au théâtre ou en danse la qualité d’écoute fera que le jeu sera "bon ou mauvais ", "vrai au faux ".

" Tomber dans le piège " n’est pas douloureux dans le Capoeira puisque le principe est de ne pas se toucher, de rester fluide l’un par rapport à l’autre et d’arrêter le mouvement avant de se faire obstacle
.A la fin, personne ne gagne ou ne perd. On se sert la main et on s’arrête là.

LA PRATIQUE DE LA CAPOEIRA

ECHAUFFEMENT ET TECHNIQUE
Il existe une technique de la Capoeira, support indispensable à une bonne préparation physique pour la souplesse, la vigueur, l’agilité, l’équilibre,  l’endurance et le rythme du corps.
 
1) Technique des mouvements
Mouvement des animaux (macaques, félins, reptiles).
Mouvements et déplacements au sol.
Mouvements et déplacements à mi - hauteur.
Mouvements et déplacements à partir de sauts et d’acrobatie.
La "ginga ", mouvement de base.
La " ginga " permet le déplacement dans l’espace en rythme et de façon continue. C’est à partir de la " ginga " que se font les sauts, les coups et les autres mouvements.
L’équilibre
Equilibre statique
Equilibre dans le mouvement.
La récupération de l’équilibre à partir du déséquilibre.
La malice et la " mandiga ".
Ce sont les artifices, les stratégies, les "combines " imaginés pendant le jeu pour distraire le partenaire et e conduire où l’on veut. C’est ici que se développe toute la théâtralité du jeu, que se construit le vocabulaire gestuel de chacun.
La musique et le chant
Initiation aux instruments
Travail sur le rythme et les chœurs
L’échauffement corporel sera soutenu par les rythmes des deux percussions principales de la Capoeira : le bérimbau et le pandéro.
 
LE MOUVEMENT " ORGANIQUE "
Chaque jour, les participants seront après l’échauffement en situation de jeu.
 
L’intelligence du corps
Aucune pensée, aucun jugement conceptuel ni aucun regard extérieur ne doit faire obstacle à l’élan corporel.
La nécessité d’agir
Dans le jeu, un mouvement qui n’est pas nécessaire non seulement n’amène rien mais peut conduire au piège de l’adversaire.
Il sera important de ne pas s’attacher à faire de grands sauts ou à rechercher l’esthétique parfaite des mouvements de Capoeira mais plutôt de travailler leur contenu organique et essentiel. Un mouvement est beau quand il est réalisé par nécessité au bon moment et dans le rythme juste.
Le jeu organique
Un jeu organique est un jeu qui se fait malgré sa volonté et hors de toute contrainte technique non dominée. Cela demande une bonne connaissance de soi et de ses limites.

DIALOGUE CORPOREL ET IMPROVISATION
Entrer dans la " roda "
C’est entrer dans le dialogue, savoir se positionner dans l’espace et d’être parfaitement à l’écoute de son partenaire.
L’improvisation.
Il y a improvisation en Capoeira parce que le jeu est une situation toujours nouvelle et toujours unique :  On est amené à donner des réponses motrices toujours variables et adaptées.
Le dialogue.
Exploitation de tous les dialogues possibles par le biais d’exercices ou sans intervention rationnelle.

Exemples d’exercices :
Dialogue avec une seule partie du corps. Le côté gauche ou le côté droit, la tête ou le thorax, les bras ou les jambes.
Dialogues lents ou rapides, ou niveau du sol ou en hauteur en fonction de la musique et du partenaire.
La théâtralité du dialogue, avec l’utilisation des sentiments et de l’émotion qu’inspire le jeu : rage, humour, sérénité, honte, excitation, séduction...
L’application de la malice et de la "mandiga ".
Suassuna and Marcelo (Caveirinha)

LA RODA
Application du rituel de la Capoeira chaque jour dans toute sa tradition,
c’est-à-dire : JOUER.


chants (parole de chants)

mp3 (inscription nécessaire pour télécharger)

vidéos (inscription nécessaire pour télécharger)

photos


Quelques extraits d'une interview:

René Bittencourt est maître de capoeira angola à Salvador da Bahia (Acanne - Associação de capoeira angola navio negreiro). Il travaille à valoriser, auprès des jeunes pauvres de son quartier, les pratiques culturelles afro-brésiliennes comme autant de sources d’estime de soi pour construire une estime de classe.
Entretien réalisé par Frédérique Dupuy, Largo dois de Julho, décembre 2005. Mis en forme par R.S.

F. Dupuy : Vous travaillez aussi avec des enfants des rues, avec le Projet Axé...
Mestre René : Le travail que je développe avec le Projet Axé est de travailler la capoeira comme estime de soi, dans le sens de favoriser l’estime de soi. Mes cours de capoeira vont davantage dans le sens d’augmenter l’estime de soi des adolescent-e-s. Car qu’en est-il de ces enfants pauvres, qu’ils soient noirs ou non ? Leur estime d’eux-mêmes est très basse. Ils apprennent à s’apprécier eux-mêmes à l’âge adulte, ils commencent à assumer d’être noir après l’âge adulte. Il y a des Noirs qui même adultes ne l’assument pas. Ils n’assument pas leur nez épaté, leurs lèvres épaisses, la couleur de leur peau comme une chose jolie, bonne. Si personne n’est là pour te dire que tu es joli... Déjà, tu es pauvre, tu vis dans un sale quartier, la discrimination raciale est très forte... Acanne veut montrer à ses élèves, aux personnes de l’extérieur, qu’il est important de ne pas être lâche, et oui de conquérir, conquérir d’une façon décente.

F. Dupuy : La capoeira comme forme de résistance...
Mestre René : Elle a été et est encore une forme de résistance. Nous avons encore l’esclavage mental au Brésil, nous avons encore un sérieux problème de racisme que personne n’assume, mais tout le monde sait que la discrimination existe. C’est peut-être ce qui différencie le Brésil des autres pays, ici, personne n’assume être raciste. Si nous, en tant qu’adultes, nous ne préparons pas nos enfants à affronter la société, à faire en sorte que cette société apprenne à changer, parce que les Noirs ne peuvent pas changer tout seuls, il faut changer la société et les Noirs. Pour que nous oubliions tout ça, comme ils veulent que nous oubliions cette histoire, comme ils veulent que nous assumions le métissage, la société elle-même va devoir se transformer. Elle va devoir nous donner notre espace, elle va devoir faire cette réparation.

F. Dupuy : Rôle avec les enfants et jeunes pauvres ?
Mestre René : La capoeira, dans ces communautés pauvres, a un rôle très important. La capoeira travaille la musique, le corps, l’esprit. Elle travaille la coordination motrice, l’espace, la perception auditive, visuelle, elle travaille l’odorat, le toucher, elle t’apprend comment t’y prendre avec l’autre. Et non à t’opposer à l’autre, parce que la capoeira se joue avec l’autre et pas contre l’autre. Donc, quand tu apprends tout cela, tu apprends comment t’y prendre avec la société. Et la meilleure façon de s’y prendre avec la société, c’est d’apprendre le langage de la société. Ainsi, si ces enfants pauvres apprennent à comprendre la langue de la société, il va comprendre qu’il est plus important pour lui d’aller à l’école que de rester au coin de la rue sans étudier. Il est plus important pour lui d’étudier que de vendre de la drogue, il est plus important pour lui d’étudier que d’aller travailler. Parce qu’on a enseigné au peuple que l’important est de travailler. Mais dans cette société, l’important est d’étudier. Ce sont les études qui donnent du travail. La capoeira joue ce rôle. Et une des choses importantes de la capoeira est à travers sa musique, le corps, sa façon de bouger, d’esquiver, elle va montrer à ces enfants qu’ils n’ont pas de problème, parce que le problème de nos enfants pauvres est qu’ils pensent avoir un problème, qu’ils ne parviennent pas à raisonner rapidement, qu’ils sont inférieurs, laids, qu’ils n’arrivent pas à l’université. C’est le rôle de la capoeira, qu’il peut. Et en montrant des Noirs en exemple. Ça n’avance à rien dans une communauté de Noirs de montrer des Blancs en exemple. Il faut montrer des Noirs d’abord, ensuite des Blancs.

F. Dupuy : Les Noirs qui réussissent adoptent parfois l’attitude des Blancs dominants, oublient d’où ils viennent ?
Mestre René : J’ai une phrase qui n’est pas de moi mais que je dis toujours : quand un Noir sort de sa communauté, il doit laisser la porte ouverte, pour pouvoir y revenir, circuler entre les deux. Il ne peut pas apprendre la culture de l’homme blanc et oublier sa propre culture. Parce qu’il peut apprendre la culture de l’homme blanc sans oublier la sienne. Il y a une phrase, des Indiens peut-être : je peux même apprendre la culture de l’homme blanc mais je n’ai pas besoin d’oublier la mienne. J’ai vu une chose très belle au Cap-Vert, ils apprennent le portugais à l’école, à lire, à écrire, mais ils n’abandonnent pas le créole. C’est important, ils ne perdent pas leurs référentiel. Ces enfants doivent apprendre que ce référentiel est important.

F. Dupuy : Quelles sont les valeurs véhiculées par les pratiques afro-descendantes qui peuvent transformer la société ?
Mestre René : Bien sûr il y en a. Par exemple, quand on prend un de ces enfants et qu’on le met à l’école, qu’il réussit à terminer le seconde degré [ce qui équivaudrait à collège/lycée], il dit à cette société qu’il est possible d’avoir ce changement, que ce sont eux qui ne le permettent pas [qui font en sorte qu’il n’y ait pas de changement]. Chaque fois qu’un Noir entre à l’université, la société se sent menacée. C’est une place de moins pour eux. Donc, soit ils apprennent aujourd’hui à vivre ensemble, à communier avec cette différence, à répartir cette richesse qu’ils ont construite sur le dos des Noirs, ou ça va devenir difficile. Parce que va arriver un moment où cette société afro-descendante va exiger vraiment : ou vous partagez la pauvreté, la souffrance, ou nous allons partager la richesse. Cette société doit apprendre, et cela dépend d’elle. Je ne crois pas qu’elle n’apprend pas, seulement ils ne veulent pas dire qu’il est temps. Mais une façon aussi de lui dire qu’elle apprend la culture est de mettre la capoeira dans les écoles de riches. A partir du moment où quelqu’un fait ça, que l’école de la société blanche a la capoeira, que les professeurs de capoeira sont noirs, elle est déjà en train de céder.

F. Dupuy : Capoeira perçue comment aujourd’hui ?
Mestre René : La capoeira est tellement puissante qu’elle parvient à accompagner les temps, sans perdre son essence. Par exemple, la capoeira est liée aujourd’hui à l’informatique, l’argent, les médias, l’avion pour voyager, la capoeira aujourd’hui parle anglais, français, japonais, la capoeira est très éclectique. La capoeira a une vie propre, est vivante. Elle réussit à se tranformer selon les nécessités. Où qu’il y ait des discriminations, dans n’importe quel endroit de la planète, il va y avoir de la capoeira. La capoeira va être présente, vivante, se transformant pour aider. La capoeira est contre tout type de discrimination. La capoeira est née pour vivre en paix et en harmonie avec l’autre, pour équilibrer la nature.

F. Dupuy : Vous dites que la capoeira donne une autre vision du monde...
Mestre René : Quand je dis que la capoeira te donne une vision du monde, c’est parce que la capoeira te permet de voyager dans le monde entier. Par exemple, ici il y a déjà eu des cours d’espagnol, d’anglais, des ateliers d’origami japonais enseignés par des Japonais, racontant l’histoire du Japon, ici il y a déjà eu des gens de différentes régions du Brésil racontant la culture. Cela te donne le pouvoir de vouloir voyager, et le pouvoir de vouloir voyager pas seulement comme capoeiriste, mais comme médecin, ingénieur, mécanicien, la capoeira ouvre l’horizon. Elle permet de ne pas rester dans ce truc de « je suis pauvre, ma mère est femme de ménage ou blanchisseuse, mon père, maçon, la petite fille doit être blanchisseuse et le petit garçon, maçon. Ma mère a eu sept enfants, je dois avoir sept enfants aussi et la chose à assurer est la nourriture et la santé, grâce à dieu. » La capoeira te montre d’autres possibilités.

F. Dupuy : Transmettre les valeurs de la culture afro-etc est une façon de motiver une libération ?
Mestre René : A partir du moment où tu connais ta culture et que tu la valorises, tu es plus fort. D’autant que ça fait 500 ans que la société tente de fragiliser la culture du peuple africain. Parce qu’ils savent que la culture est très forte. La culture peut amener un homme à mourir, il peut donner sa vie pour la culture, pour ce en quoi il croit. Si tu n’as pas de culture, tu ne vas croire en rien. Les grands leaders sont apparus comme ça, parce qu’ils croyaient en quelque chose. Si tu ne crois en rien, tu vas mourir de la drogue ou la police va te tuer. Et comme ici au Brésil, seuls meurent les pauvres et les Noirs, de la drogue ou parce que la police les tue, alors nous allons mourir. Si nous fortifions cela, nos enfants, même s’ils ne sont pas du candomblé, même s’ils ne jouent pas la capoeira, vont se sentir importants. Ici, dans mon association, je ne veux pas de capoeiristes, ici ce n’est pas une fabrique de capoeiristes, ici nous formons des citoyens. Je dis aussi souvent que l’important pour les Noirs est d’être toujours en mouvement. Si tu es toujours en mouvement, ce n’est pas marcher, jouer la capoeira, non, en mouvement c’est articuler des choses, apprendre, c’est difficile pour la société de te prendre, de te dire qu’en tant que Noir, tu ne peux pas arriver jusque-là. Si tu ne crois en rien, c’est plus facile de te corrompre. Mais si tu as un idéal, c’est plus difficile.

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